«Un frère est un ami donné par la nature.» | Ft Aily

Mon cœur bat.
Plus vite, plus fort.
C'est à ce moment que je sais que tu m'as vue.
Ton regard pénètre le mien.
Je vais défaillir.

Mon cœur rate un battement et je me réveille d'un coup. Ma tête me tourne. Ton parfum parvient à ma truffe. Je ferme les yeux et me laisse emporter par ton odeur si familière que je reconnaîtrais parmi tous les chats de mon clan.
Cette journée commence bien !
Je me lève rapidement, excitée à l'idée d'une nouvelle journée. Je ne sais pas pourquoi, mais cette idée me donne un regain d'énergie. Le jour est illuminé autant par le soleil que par toi. Tu es au milieu du camp, seul, comme à ton habitude. Les autres t'entourent, se moquent. Je donnerai ma vie pour venir t'aider, me battre contre eux afin de leur montrer. Mais je n'en suis pas capable, ma nature m'en empêche. Le camp qui s'était illuminé de ta lumière me paraît soudain triste et sans vie. Je baisse les yeux, me maudissant de n'être qu'un petit félin maigre et sans courage, laissant l'élu de son cœur souffrir sans bouger. Mes griffes se plantent dans la terre meuble et je sens les larmes monter. Je détourne vite mes yeux de la scène et, inspirant un grand coup, me dirige vers le tas de gibier. Je n'ai pas faim, mais je dois me nourrir si je veux grandir et attirer ton attention. Je pioche le plus petit poisson et me dirige machinalement vers un coin du camp dans lequel je ne serai pas embêtée.
Il fait beau mais frais. L'hiver est froid et plus vigoureux que les années précédentes d'après les anciens. Je n'ai pas vécu depuis assez longtemps pour les connaître, ces années !
Je mâche sans appétit la chair du poisson, mon regard étant attiré tout le temps vers toi. Tu dégages un aura de lumière que les autres n'ont pas.

Une fois le poisson fini, je m'apprête à sortir hors du camp afin d'attendre pour te suivre, mais j'ai une subite envie de changement. Mes journées s'organisent toujours de la même manière et, même si je pourrais passer ma vie à te suivre, j'ai besoin de changer d'air.
Mes yeux bleus se dirigent alors vers mon frère. Entouré de sa cour, il rigole à gorge déployée. Je m'approche de lui. Aussitôt, tous les regards de ses "amis" se tournent vers moi. Ils arborent un air menaçant censé me faire reculer. Mon courage me revient tout à coup, et je continue mon avancée, prête à tout pour lui parler.

– Bonjour Nuage Constellé. Ça te dirait de chasser juste toi et moi, entre frère et sœur ? Sans ta clique d'imbéciles ?

Qu'est-ce qui me prend ?

Comme avais-je pu dire ça ? Je sais bien que les amis de mon frère sont violents et bêtes, et qu'ils ne m'aiment pas. Leur dire ça, c'est juste remuer la griffe dans la plaie... Nuage Constellé, mon frère, semble lui aussi surpris par ma remarque un peu déplacée. Il lança un regard aux autres et m'entraîna alors à part, à un endroit où ils ne pourraient pas nous entendre.

– Je veux bien... Mais pourquoi as-tu dis "Sans ta clique d'imbéciles" ? Tu sais bien que les autres ne t'aiment déjà pas beaucoup... Tu ne veux pas faire un effort pour essayer de t'intégrer ?

Je manquai de lui sauter à la gorge. M'intégrer... Il ne parlait que de ça depuis que nous étions petits. Les arguments étaient toujours les mêmes, que ce soit de sa part ou de la mienne. Je ne veux pas. La seule personne avec laquelle j'ai envie d'être amie, c'est toi.
Mes grands yeux bleus foncés se fixent sur mon frère avec un air furieux, exaspérée par le tour que prenait la conversation. Je ne voulais pas reprendre ce sujet qu'il pouvait lancer plein de fois...
Je décidai tout de même de répondre à sa question et de clore le sujet. Une bonne fois pour toute.

– Tu ne vas tout de même pas croire que tes 'amis' sont intelligents ?! Suivre un félin et approuver tout ce qu'il dit, c'est bon pour les... Pour les... Les cervelles de souris !! Excuse-moi de te le dire, mais ton attitude est puérile. Je me tais un instant est prend mesure de mes paroles. J'ai soudainement envie de disparaître sous terre. La cour de Nuage Constellé s'était rapproché afin d'écouter ce que nous disions et semblaient rigoler bien que me fusillant toujours du regard. Ils ne m'aimaient pas et c'était réciproque. Jamais je n'irai avec eux. À part peut-être pour toi, si tu me le demandais, même si tu serais vraiment bizarre. Sur ce, je vais chasser, rejoins-moi si tu le souhaites


Et je pars en courant, les larmes aux yeux.

Je ne peux les empêcher de couler. Elle viennent à mes yeux sans prévenir pour une raison quelconque, et cela même lorsque ma réputation est en jeu. Je n'ai jamais pû me contrôler. Je suis complètement différente de mon frère, très à l'aise tout le temps, contrôlant totalement ses émotions et plein d'amis. J'ai toujours été ainsi, moins assurée, à part. La honte de la famille. Je m'arrête subitement, épuisée. J'en ai assez de me remettre en question. Je n'arrête pas de me rappeler mes défauts, et cela n'arrange en rien ma situation.


– Écoute... Je suis désolé... Pour tout à l'heure... Mais tu sais... Ils me suivent, je ne vais pas les rejeter !

La voix de Nuage Constellé me sort de mes noires pensées. Je détourne aussitôt le regard, ne voulant pas qu'il voit mes larmes.
Nous ne sommes pas des frères et sœurs normaux. Nous avons toujours été différents, très différents, que ce soit niveau physique ou caractère. Mais malgré nos différences, nous étions proches. À notre manière.
Je respire longuement pour me calmer et me retourne vers lui. Mes yeux brillent, encore assaillis par les larmes. Je ne peux pas me cacher plus longtemps, je sais qu'il devinerait très vite.

– Laissons tomber, veux-tu ? J'en ai plus qu'assez de ce genre de discussion ! Nous en avons déjà parlé plusieurs fois.

Mon agacement est visible sur mon visage, je le sais.

– On était parti chasser
Et si nous commencions ?

Je me tais un instant, espérant qu'il ne reprendrait pas le sujet.

Mon frère acquiesce, mais son regard ambré l'interpelle. Dans ses beaux yeux que j'admire, une pointe de quelque chose que je ne comprend pas. Serait-ce de la peur ? De l'ignorance ? Quelque chose d'étrange de nouveau. Je ne l'avais jamais vu avec cette lueur lui donnant un air neuf que je ne lui connaissais pas. Nous grandissons, chacun de notre côté. Nous ne nous connaissons pas, nous ne nous connaissons plus. Nous ne sommes plus très proches.

– Tu veux chasser ou pêcher ?

Sa question me paraît déplacée dans ce contexte si étrange, mais après réflexion, nous étions venus pour attraper des proies et en ramener au clan. Il n'est pas venu pour moi. Il s'en fout de moi. Il est là pour le clan. Pas pour moi. Pas pour moi. Le froid glacial me prend soudain. Je n'entend plus rien. Seul le froid qui entre dans la peau et pénètre mes os. Et mon frère. Et... Et toi ?! Qu'est-ce que tu fais là ? Nous as-tu suivi ? Es-tu venu pour... Pour moi ?

Je m'approche de toi, j'oublie complètement Nuage Constellé. Tu es tellement beau ! Mes pas avancent tout seuls vers toi. Je suis tellement proche, je ne l'ai jamais été autant ! Mais... Que se passe-t-il ? Tu disparais ! Ta silhouette parfaite s'efface, telle un mirage.

– NOOOOOON !

Le monde réapparait. Les arbres, le ciel voilé de nuages gris peu avenants, et mon frère. Mes griffes s'enfoncent dans la terre meuble. Était-ce un signe ? Est-ce que tu vas disparaître alors que je serai plus proche de toi que jamais ?
Je lève la tête et l'agite, voulant oublier cette horrible pensée. J'inspire l'air glacial du jour avant de me retourner vers Nuage Constellé.

– Je... Sa question me revient alors en tête. Chassons.

Son regard me montre qu'il m'a vu dans mon étrange manège. Je détourne ma tête et fais comme si je chassais, troublée.