Entrevue [PV Fleur de l'Aube]

La cérémonie venait de s’achever et Etoile de Spirée s’était retirée dans son antre sans adresser un seul mot à Onde de Soufre. Il se retrouvait là, seul, à côté de Petite Ai- Nuage Ailé, et de sa mère. Elle, assise, remuait la queue avec impatience. Il se pencha vers elle et lui annonça d’un ton qu’il voulait sûr de lui qu’ils commenceraient leur entraînement demain dès l’aube, et qu’il lui conseillait d’aller faire connaissance avec ses nouveaux compagnons dans la Tanière des Apprentis, puis de bien se reposer. Elle s’en fut, ravie. Le guerrier gris se retrouva ainsi seul devant Fleur de l’Aube. Il ne lui avait pas parlé depuis l’Assemblée où il l’avait défendue, sa première. Il n’avait pas réellement su quoi ajouter depuis, en réalité. Depuis son baiser avec elle, depuis qu’il avait pris les devants publiquement, il était devenu inapte à la regarder en face. Et maintenant, ils étaient seuls, devant l’Antre du Chef, et… Il était le mentor de sa fille. Il fit un pas en avance, ravala sa salive, et lança, enjoué : « Alors, du coup c’moi qui m’occupe de Nuage Ailé, hein... »

Il s’arrêta. Il ne savait pas vraiment comment lancer la conversation, gêné. Il piétina un peu le sol, détourna les yeux, et baissa l’oreille gauche. Y avait-il vraiment besoin qu’il lui parle, de toute façon ? Au final, il s’en moquait, il avait juste besoin de s’occuper de Nuage Ailé comme de n’importe quelle autre apprentie. Mais le fait que ce soit la fille de Fleur de l’Aube… le turlupinait. Il n’avait pas parlé de sa mésaventure avec elle lorsqu’ils étaient allés pêcher à Étoile de Spirée. Et il était presque certain qu’elle n’avait pas vu lorsqu’il avait pris sa défense à l’Assemblée. Non, c’était… juste un hasard. Un malencontreux hasard mais un hasard. Néanmoins, trop préoccupé, il avait besoin de lui en parler. Il… ne savait pas pourquoi, mais il en ressentait la nécessité. Il ajouta : « T’inquiète, je… J’ferai d’mon mieux. Elle est entre de bonnes pattes. J’espère. » Cette dernière phrase était sortie seule. Zut. Il tenta de rattraper : « J’veillerai sur elle. Il lui arrivera rien ! »

Le baptême était fini, la plupart des félins retournaient à leurs activités. Moi, j'étais venu féliciter ma fille, malgré le fait que j'avais encore du mal à accepter qu'elle était désormais apprentie. Elle était assise, mais on pouvait lire dans ses yeux l'excitation et l'impatience. Onde de Soufre était resté lui aussi à ses côtés, chose normale en tant que nouveau mentor de Petite Aile… Ou plutôt Nuage Ailé. Le matou gris se pencha vers elle et lui murmura quelques mots, elle se leva et se dirigea d'un air joyeux vers la Tanière des Apprentis. Un fin sourire apparut sur mon visage tandis que je la regardais s'éloigner. Je me tournais ensuite vers Onde de Soufre., cela faisait tellement longtemps qu'on ne c'était pas reparlé… C'est limite s'il ne me jetait pas un regard. La gêne s'empara un peu de moi en cet instant, je devais bien l'avouer. Je fus tentée de piétiner le sol sous mes pattes mais, je me retins. Au lieu de ça, je soutins son regard en essayant de dissimuler ce que je pouvais ressentir, du mieux que je pouvais. Le guerrier finit par faire un pas en avant.

"Alors, du coup c’moi qui m’occupe de Nuage Ailé, hein…"

   Ce qu'il venait de dire était assez logique en soit, sinon il n'aurait pas été appelé pendant le baptême mais, je ne dis rien. Je voyais bien qu'il tentait de faire un effort pour lancer la conversation tandis que moi, je restais plantée là à attendre que quelque chose se passe. Il fit exactement l'inverse de ce que je m'étais empêcher de faire : piétiner le sol, détourner le regard. Au moins, on était deux à être mal à l'aise. Je ne savais comment définir la relation entre Onde et moi, était-il un ami, une simple connaissance positive ? Difficile de dire ça quand on a embrassé cette personne. J'en vins à me demander si quelqu'un avait déjà vécu une histoire similaire… Et si éventuellement cette personne s'en était sortie. Je cherchai quoi répondre à sa dernière phrase quand il reprit :

"T’inquiète, je… J’ferai d’mon mieux. Elle est entre de bonnes pattes. J’espère. J’veillerai sur elle. Il lui arrivera rien !"

 Le "j'espère" était loin de me rassurer si tel était le but de sa phrase. Je voyais quand même bien qu'il n'était pas du tout confiant à l'idée d'avoir une apprentie. Et à mon avis, au vu de comment on réagissait lorsque l'on étaient seuls, que ce soit ma fille dont il devait s'occuper n'arrangeait pas les choses. Le fait de le voir ainsi me faisait un peu bizarre, d'habitude il parlait d'un ton plus enjoué, il était moins sérieux, il donnait l'impression que rien n'était important. Hors là, j'avais l'impression que c'était un autre guerrier face à moi. Je me décidais donc à le remotiver, encore faudrait-il que je trouve les bons mots. Je prenais une inspiration et me lançais.

"Je… Je sais Onde de Soufre. Mais tu dois être… Confiant. Tu ne dois pas douter de toi ou c'est Peti… Nuage Ailé qui va aussi douter..."

 Je ne savais pas quoi rajouter, je me trouvais beaucoup trop maladroite et les mots se bousculaient dans mon esprit, ne pouvant former une pensée correcte. Au final, je baissais la tête, ce que je venais de dire me semblait dès à présent très ridicule. J'aurai sûrement mieux fait de me taire.

Elle hésita à lui répondre, ne sachant probablement pas quoi dire. Finalement, elle bégaya : « Je… Je sais Onde de Soufre. Mais tu dois être… Confiant. Tu ne dois pas douter de toi ou c'est Peti… Nuage Ailé qui va aussi douter... » Puis, soudain honteuse, elle baissa la tête. Il se retrouva plus honteux encore, et pensa à nouveau à fuir. Il ne voulait pas lui fausser compagnie, néanmoins ; pas lorsqu’elle comptait sur lui et qu’il avait été le premier à se lancer à sa rencontre. Mais à quoi pensait-il donc lorsqu’il s’était avancé vers elle ?! Comme si lui parler allait arranger sa confiance en lui d’une quelconque façon… Elle avait beau lui adresser des mots gentils, il se doutait de leur sincérité. Qu’il était difficile d’avoir confiance en soi quand personne ne vous pensait apte à prendre en patte une quelconque responsabilité… A part sa chef, bien entendu. Quoi que. Cela avait davantage des airs de défi personnel qu’autre chose… Il murmura : « J’essaye, mais... »

Il n’alla pas plus loin. Il n’avait pas envie de montrer sa faiblesse d’une quelconque façon, mais il était déjà trop tard de toute façon. Son masque de plaisantin sûr de lui avait commencé à se fissurer depuis qu’il avait confié ses sentiments à Spirée, le jour où elle était devenue la responsable du Clan. Fleur de l’Aube en avait été témoin de loin, comme elle avait été simple spectatrice de beaucoup de choses jusqu’à présent. Sans doute parce qu’il essayait d’entraver ses actions au maximum. Il ne voulait pas avoir à l’affronter. Sa voix, morte dans sa gorge, acheva d’entamer sa confiance dans cette responsabilité. Un instant, il se demanda s’il ne valait pas mieux qu’il aille demander à ce qu’on lui retire la garde de Nuage Ailé. Ce serait mieux si elle avait un mentor plus compétent, et…

Et il n’y avait personne pour cela, à part lui…

« Écoute, j’sais bien… Que tu… Enfin, que personne a réellement confiance en moi sur ce coup. » Il cessa de piétiner le sol, sa voix se renforça, et il déclara, fermant les yeux : « Mais elle deviendra une excellente guerrière. Je peux t’assurer qu’elle le deviendra, et elle sera même meilleure que moi. » Il s’arrêta. Ce n’était pas si difficile, en même temps, haha… Il secoua la tête, chassant cette pensée négative, avant de rouvrir les yeux et de regarder ceux de Fleur de l’Aube : « J’te promets, j’te jure, j’te tout ce que tu veux, qu’elle aura son nom de guerrière au bout de douze lunes, comme prévu. Et il est pas question qu’elle subisse la même chose que moi, j’veux plus que ça arrive à qui que ce soit. » Il ajouta finalement, pris d'une inspiration soudaine : « J’enseignerai à ta fille comme si j’étais son père. C’promis. » Euh... Est-ce que c'était vraiment une bonne idée d'ajouter ça...? se demanda-t-il, tentant de garder contenance malgré son léger dérapage.

Un court silence s'installa tandis que mes membres étaient comme paralysés. Pourquoi une telle réaction, pourquoi ? Je ne savais tout simplement pas rassurer ou consoler les autres, c'était assez compliqué de dire que tout irai bien quand on sait que pas forcément. Ma vie s'était composée de désastres entourés de belles paroles. Malgré tout, ce que je venais de dire à Onde de Soufre, c'était un encouragement sincère même si j'avais "légèrement" buté sur les mots. A vrai dire, c'est sa réaction qui m'inquiétait.

"J'essaye, mais..."

Il s'arrêta là et je relevais la tête. Mais ? Mais quoi ? En fait, je ne m'attendais pas à le voir comme ça. Le guerrier avait toujours été pour moi un blagueur peut être parce qu'il se disait qu'il fallait mieux rire dans la vie que pleurer. Je prenais conscience que tous ses tours, ses plaisanteries pouvaient être très probablement un masque. Un peu comme moi et mon sourire ? Non, je ne savais pas, ce n'était que des hypothèses, il avait le droit de passer une étape difficile sans que je ne me pose des questions ou que je ne m'imagine des choses. Mais quand même... Si c'était vrai... Je le scrutais quelques instants avant de détourner le regard.

"Écoute, j’sais bien… Que tu… Enfin, que personne a réellement confiance en moi sur ce coup. Mais elle deviendra une excellente guerrière. Je peux t’assurer qu’elle le deviendra, et elle sera même meilleure que moi."

Il s'arrêta un court instant et secoua la tête avant de reprendre.

"J’te promets, j’te jure, j’te tout ce que tu veux, qu’elle aura son nom de guerrière au bout de douze lunes, comme prévu. Et il est pas question qu’elle subisse la même chose que moi, j’veux plus que ça arrive à qui que ce soit."

Sa voix s'était raffermie au fur et à mesure qu'il parlait. Je ne connaissais pas bien son histoire à lui -sûrement trop concentrée sur la mienne...-, mais vivant dans le même Clan depuis que l'on est tous petits, j'en connais des petits bouts : Ses sœurs mortes, deux mentors eux aussi décédés, son baptême de guerrier tardif... Pas grand chose, quoi. Je ne m'étais, en fait, jamais soucié des autres. De ce qu'ils avaient put enduré. La culpabilité s'abattit sur moi d'un seul coup. Je la repoussais en me concentrant sur Onde de Soufre et sur ce qui se passait maintenant.

En tout cas, il me donnait l'impression d'être plus confiant et ça me rassurait un peu. De toute façon, si Étoile de Spirée l'avait choisi lui, c'est qu'elle le savait prêt. Malgré tous ses mauvais tours, c'était un guerrier loyal et un super pêcheur, je le savais. Alors pourquoi douter ?

"J’enseignerai à ta fille comme si j’étais son père. C’promis."

Je fus d'abord surprise par sa phrase et un peu gênée, mais dans le fond la remarque m'amusa un peu. Après tout, il était vrai qu'il avait l'âge d'être son père. Mais Cœur Sauvage est mort... Au moins, je pouvais être sûre qu'il ferait de son mieux pour entraîner ma fille.

"D'accord..."

 Je m'arrêtais, j'hésitais encore, ne sachant pas trop quoi dire.

"J'ai confiance en toi, moi."

 Il le fallait bien de toute façon et puis, pourquoi ne réussirait il pas ? Il fallait vraiment que j'arrête de me poser des questions la dessus, on verra bien ce que l'avenir nous réserve.

 Pour se changer les idées et tenter de... Comment dire ? Retirer l'espèce de "froid" qu'il y avait entre nous. Car, il avait fait un pas vers moi, c'était maintenant à moi d'en faire un. J'allais lui proposer que l'on patrouille ensemble ou bien même que l'on aille pêcher mais je me ravisai. J'avais peur qu'il ne me fuit une nouvelle fois. Il valait mieux que j'attende sa réaction, je préférais.

Moi ? Comment ça, « moi » ? s’étonna Onde de Soufre. Il secoua la tête, se rappelant qu’il savait déjà depuis longtemps que personne n’avait vraiment confiance en lui. Ils avaient toutes les raisons du monde de ne pas croire en lui, puisque lui-même n’y parvenait pas. Il soupira légèrement, détourna le regard, et fixa longtemps l’eau, qui tremblait à quelques mètres d’eux, protégeant le camp par son trouble constant. Un long silence s’installa entre les deux guerriers, et il hésita à partir, puisqu’il n’avait rien à ajouter. Mais il avait un goût d’inachevé, même si Fleur de l’Aube ne semblait pas motivée à continuer le conversation. Il n’aimait pas être incapable de relancer la conversation, cela ne lui ressemblait tout simplement pas et il préférait le bruit que le silence.

Le vide le terrifiait. Il avait cette saveur d’inconnu qu’il détestait.

« Bon bah j’pense que c’est tout, hein.. ? » marmonna-t-il finalement, cédant à sa crainte d’affronter le regard de sa lieutenante à nouveau. Il fuyait. Encore. Il avait honte, mais il ne voyait plus quoi faire d’autre, de toute façon. « Faut que j’sois en forme pour Nuage Ailé, alors… j’vais y aller, hein. On s’voit plus tard ? » Il mentait. Mais c'était le minimum.

En toute réponse à ce que j'avais dit, il secoua la tête, comme pour montrer son désaccord. S'en suivi un long silence. Je regardais le bout de mes pattes ne sachant quoi dire de plus. J'avais plus l'impression d'être une apprentie, une enfant qu'autre chose.
 En fait, c'était ce qu'on était, de véritables gamins, incapables de se regarder en face ou même de se parler à cause d'un jeu. On ne pouvait tout de même pas rester comme ça éternellement, si ? Faire comme si l'autre était à semi présent. Le guerrier gris rompit le silence.

"Bon bah j’pense que c’est tout, hein.. ? Faut que j'sois en forme pour Nuage Ailé, alors... j'vais y aller, hein. On s'voit plus tard ?"

  Je lui jetai un regard en cachant ma légère déception. Il m'esquivait encore. Ça me donnait l'impression que j'avais fait quelque chose de mal ou d'être un monstre. Mais en même temps il avait raison de mettre fin à la discussion, qu'est-ce qu'on avait d'autre à se dire ? Je hochai la tête tout en me disant que 'plus tard' signifiait sûrement pour Onde de Soufre 'le plus tard possible'. Je fermai les yeux et murmurai pour moi même :

"De toute façon, faudra bien qu'un jour ou l'autre on se comporte en adulte..."

Je ne crois pas qu'il ai entendu, enfin, je ne sais pas, il était sans aucun doute déjà parti, trop pressé de me fausser compagnie...

HRP: