Sifflement [PV Nuage Ailé]

Le lendemain du baptême de Nuage Ailé, Onde de Soufre avait décidé de la prendre avec lui au petit matin pour commencer son apprentissage. Excitée comme un saumon à l'annonce du printemps, elle semblait apparemment prête à faire tout ce qu'il demanderait... Mais il ne savait pas comment s’y prendre avec les apprentis. Par où devait-il commencer ? Que devait-il montrer à Nuage Ailé ? Que devait-il lui apprendre en priorité ? Une foule de questions s’amassaient dans sa tête et il n’osait les poser à personne. Il ne voulait pas qu’on le prenne pour un incapable – autant il l’était, autant il se refusait à l’admettre.

Il décida donc de faire d’abord connaissance avec sa nouvelle apprentie, et pour cela, s’était décidé à la conduire jusqu’à l’endroit où tous les chats de la Rivière s’entraînaient : le Taillis de Hêtre. Par chance, il était vide lorsqu’ils arrivèrent ; c’était un souci de moins dont il avait à se préoccuper. En plus du fait que Nuage Ailé savait déjà se débrouiller pour nager, et donc qu’il aurait simplement à lui apprendre deux-trois petits trucs pour l’aider à s’améliorer.

En fait, il n’avait pas vraiment envie de s’imposer auprès d’elle. Il voulait qu’elle apprenne un peu par elle-même, comme Onde d’Emeraude l’avait fait pour lui. Il désirait qu’elle s’imprègne de son savoir, aussi maigré soit-il ; qu’elle s’approprie ce qu’elle souhaitait prendre, et délaisse ce dont elle n’avait pas besoin. Onde de Soufre se contenterait de lui offrir et proposer soutien et aide. Il voulait simplement la superviser dans son apprentissage, s’assurer qu’elle hérite des valeurs du Clan, qu’elle sache quand respecter le Code et quand s’en écarter un tout petit peu. Mais surtout, qu’elle soit fidèle et qu’elle ne doute jamais de son appartenance au Clan de la Rivière. S’il y avait bien une seule chose sur laquelle il insisterait durant l’apprentissage, ce serait ce point précis.

Bon, voilà, il avait son plan et son orientation de base. Et maintenant ? Il s’était assis au centre du taillis, demandant à Nuage Ailé de se mettre en face de lui. Après quelques secondes de silence un peu gêné, l’un comme l’autre se demandant sans doute ce qu’ils faisaient ici, il demanda, d’un ton qu’il s’efforçait d’être rassurant, voire paternel : « Bon, on va commencer doucement. Montre-moi c’que tu sais faire au niveau du combat. Juste pour évaluer ton niveau de base. » Il copiait de mémoire le fonctionnement qu’il avait eu avec Jugement du Feu au tout début de son apprentissage. C’était sans doute la meilleure chose à faire, même s’il n’avait pas apprécié la suite. Le début lui avait paru plutôt raisonnable. C’était après que ça s’était gâté.

Le premier jour de mon apprentissage était arrivé. J'étais très excitée, mais le doute envahissait une partie de mon esprit... La réaction des chats à l'annonce du nom de mon mentor m'avait laissée perplexe. Ils avaient eu tous l'air choqués et de me plaindre... Mais bon, pour l'instant je ne voyais pas ce que mon mentor avait de pas bien.

Nous marchions en silence, avant de s'arrêter dans un taillis d'arbres. J'observais les alentours, quand il me demanda de m'asseoir. Je le fis, mais le silence qui s'installa me perturba. Au bout d'un moment, Onde de Souffre repris la parole: "Bon, on va commencer doucement. Montre-moi c’que tu sais faire au niveau du combat. Juste pour évaluer ton niveau de base."
J'écarquillais légèrement les yeux. À la pouponnière, certains apprentis m'avait bien appris quelques bases, mais pas grand chose... Je tentais de me souvenir, puis me rappelait une technique, qui consistait à bondir sur l'autre pour la plaquer au sol. Je savais que je n'avais aucunes chances de réussir, vu la taille du guerrier, mais il fallait tenter.

Je me mis en position, et bondis aussi fort que je pus. J'atteris pile au bon endroit, malheureusement mon poids était trop moindre. Je ne parviens qu'à l'écraser un peu, peut être à lui couper la respiration un instant mais rien de plus. Je reculais, gênée. Mes pattes piétinaient le sol. J'avais peur d'être une mauvais apprentie... Et si je n'arrivais jamais à être guerrière ? Je serais la honte du clan. Le doute s'ancra en moi, comme de la mousse sur un arbre.

Elle commençait par une attaque assez offensive ? Eh bien, elle n’y allait pas de patte morte… Il la laissa faire, fermant néanmoins les yeux par réflexe défensif, et sentit ses petits doigts heurter sa poitrine avec une force qu’elle tentait de concentrer ; il glissa de quelques millimètres seulement en arrière, se rasseyant. Il était normal pour un chaton de ne pas réussir à le renverser si facilement : quelque part, c’était même rassurant. Il lui adressa un sourire rassurant en la voyant anxieuse devant son geste ; même si elle manquait de puissance, en raison de son jeune âge, elle avait déjà un mouvement correct. Tout le monde ne commençait pas avec ça. Bon, ce n’était pas non plus la technique la plus élaborée au monde, mais c’était déjà franchement pas mal du tout. Il déclara : « Pas mauvais. La force viendra avec l’entraînement. » Il marqua une pause, regarda autour, se demandant quelques secondes ce avec quoi il pourrait commencer. Puis, il dit : « On va commencer par un petit entraînement physique de base, d'abord. Déjà, tu vois c'tronc mort, dans l'coin du taillis ? » Il le pointa de la queue, avant de reprendre, toujours assis : « Donne-lui des coups de griffes, comme s’il s’agissait d’un ennemi. Une dizaine, yep. J'veux voir comment tu t'débrouilles instinctivement pour asséner des coups de patte. »

Il me sourit, et je le détendis. Il devait penser que je me débrouillais pas trop mal... Enfin... Si j'ai bien compris. Onde de Souffre dit alors une phrase qui me rendit fière (un peu): "Pas mauvais. La force viendra avec l’entraînement. " J'aquiesçais, et il me donna un autre exercice: il fallait que je griffe un arbre, pour qu'il voit comment je me débrouillais.
Je m'avançais vers l'arbre, tout en réfléchissant à comment j'allais m'y prendre. Je décidais de ne lancer qu'une patta après l'autre, pour avoir de la rapidité sans me déséquilibrer.
Parvenue devant le tronc, je me mis en place et démarrait le griffage de l'arbre, tel que je l'avais planifier. J'y arrivais plutôt bien, mais mes griffes s'accrochaient à l'écorce.
Tout en continuant, je tournais la tête vers le guerrier, pour voir si ce que je faisais était bien.

Il la regarda faire, étudiant ses mouvements avec attention. Elle était un peu gauche et avait du mal à tenir sans prendre appui sur une de ses pattes. Elle manquait aussi de souplesse, ses mouvements étant courts et droits ; et bien qu’assez rapide et efficace, elle ne parvenait qu’à légèrement écorcher l’écorce. Ses griffes n’étaient que bien trop peu solides. Pas vraiment étonnant pour une petite qui venait d’être baptisée apprentie. Enfin, de toute façon, celles d’Onde n’étaient pas non plus des plus résistantes. Il ne s’en servait, pour ainsi dire, que dans les cas extrêmes, parce qu’il les savait fragiles. Néanmoins, lorsque cela arrivait, il se tenait prêt à faire usage des plus redoutables coups de pattes. En la voyant se tourner pour vérifier si ce qu’elle faisait était bien, il lui adressa un signe de tête approbatif. Une fois qu’elle eut fini sa série, il l’arrêta, puis déclara : « C’bon pour le moment. J’ai vu c’que j’voulais voir. » Il marqua une pause, puis reprit d’un ton assez doux : « Maintenant, une troisième chose. J’aimerais qu’tu m’résumes c’que tu sais du code du guerrier. Vas-y avec tes mots, j’veux juste voir ce que t’en sais déjà. »

Je m'arrêtais quand il me le dit. Puis mon mentor me donna une troisième consigne: "Maintenant, une troisième chose. J’aimerais qu’tu m’résumes c’que tu sais du code du guerrier. Vas-y avec tes mots, j’veux juste voir ce que t’en sais déjà."
Je le remémorais ce que je savais, avant de me lancer:

- Eh bien... Un guerrier doit être loyal et fidèle à son clan, il doit le défendre, il ne doit pas attaquer un guerrier ennemi si celui -ci n'est pas sur son territoire (celui du premier guerrier), lors des assemblées il ne doit pas se battre, il doit respect et obéissance à son chef, il n'a pas le droit d'être amoureux d'un ennemi ou d'un guérisseur, et heu... Après je me souviens plus trop...

Je n'étais même pas sûre qu'il y ai encore d'autres choses, mais en tout cas, ce que j'avais cité c'est ce que je savais. Je repris tout de même:

- Après, il y a celui du guérisseur, mais comme ce n'est pas ma voie, je risque de ne pas devoir le suivre...

Je creusais au fond de ma mémoire, mais rien d'autres ne remontait.

« C’déjà pas mal ! » répondit Onde en hochant la tête. « Concrètement, c’que tu dois t’rappeler, c’est les valeurs d’la fidélité, d’la fraternité et du respect. On n’est rien sans le Clan, le Clan est rien sans nous. Tant que tu retiens ça… T’as le plus important. L’reste c’est du bon sens, et on verra ça p’tit à p’tit. » Il marqua une pause, réfléchissant à toute allure à ce qu’ils pourraient faire ensuite. C’était la première journée, c’était le début du contact : il devait la mettre en confiance, apprendre à la connaître, savoir ce qu’elle aimait et ce qu’elle n’aimait pas. Déjà, elle n’était pas intéressée pour être guérisseuse, c’était important à savoir. Il reprit donc : « J’imagine qu’tu connais pas trop les frontières du Clan, vu que t’es jamais sortie du Camp. J’te propose qu’on aille faire un tour et que j’te montre tout ça. Ça t’va ? »

J'écoutais attentivement ce qu'il disait, hochant la tête de temps en temps. Puis un petit silence s'installa avant qu'il ne reprenne en parlant de me faire visiter le territoire. Je me redressais, impatiente. Il y avait tant de choses à découvrir sur un territoire que je n'avais jamais vu. Je lui répondis, d'un ton enthousiasme:

- D'accord ! On part par ou d'abord ?

Je penchais légèrement la tête, interrogative. J'étais très impatiente, et le suivis aussi vite que les pattes me le permettaient quand il partit. À quoi ressemblait le territoire ? Et la rivière, avec les poissons que nous mangions ? Et les frontières ? Je ne savais même pas où nous étions par rapport aux autres limites de notre territoire. Je sentais un peu toutes les odeurs, tentant de les mémoriser. Mais je dénonçais rapidement, car chaque odeur effaçait la précédente. C'était compliqué de se rappeler de tout ça.

« On va s’approcher d’la tanière des Bipèdes, juste pour t’montrer où faut pas qu’tu traînes en général. » Il était déjà sorti, et elle le suivait d’un pas tout excité, ravie de découvrir son futur terrain de chasse. Pour elle, c’était comme un nouveau monde. Il se souvenait du jour où il avait découvert tout le territoire de la Rivière : ç’avait été absolument génial, et c’était sans doute un de ses plus beaux souvenirs. Quelle joie d’explorer une terre aussi splendide que la leur pour la première fois ! Il avait envie que la découverte de Petite Aile soit la plus belle possible. « Ils sont plus trop présents depuis quelques temps, mais en général faut rester à l’écart, » fit-il alors qu’ils s’approchaient de la grande tanière des Bipèdes. « Ils ont un chien qu’est vraiment agressif si on traîne trop devant chez eux, en plus. Crois-moi, c’est pire qu’des blaireaux ces bêtes-là. Si tu croises l’un ou d’autre, mets-toi à l’abri l’plus vite possible et tente d’prévenir les autres ! » Il la laissa examiner l’endroit, puis désigna du bout de la queue la grande mare noire qui était au loin. « C’est un petit chemin du Tonnerre, mais vu qu’notre territoire s’arrête avant, on a pas à s’en soucier. Si t'as des questions, hésite pas. » Il s’arrêta et ajouta, un peu pour lui-même : « J’me demande bien ce qu’il y a au-delà, quand même. »

À l'énonciation de la tanière des bipèdes mes yeux s'écarquillèrent. Je savais que c'était plus grand que nos tanières à nous, mais absolument pas à quoi ça ressemblait. En arrivant devant, mes yeux suivirent la façade grisâtre jusqu'en haut. C'était tellement grand ! Les bipèdes devaient mettre des lunes et des lunes à les construire !
Onde de Souffre continua ses explications, et je frémis en entendant le mot chien. Ma mère m'avait raconté des histoires dessus, ils avaient vraiment l'air horribles !
Il me désignant autre chose. Au début, je ne savais pas ce que c'était, à part une masse noire qui brillait au soleil. Puis il m'expliqua que c'était un chemin du tonnerre, mais que notre territoire s'arrêtait avant, donc je ne risquais pas de m'en approcher. Il marmonna quelque chose, que je ne saisis qu'à moitié: "...me deman... bien ...’il y a au..., quand ...me."
Je décidais de laisser passer, ça ne semblait pas m'être destiné. Je me remémorais sa phrase précédente, et décidais de lui pose une question:

- Mais ce chemin du tonnerre, il y a des monstres qui roulent dessus ou il est abandonné ?

J'avais aussi entendu parler des monstres, des bêtes effrayantes qui avançaient à toute vitesse et écrasaient tout sur leur passage.

« D’temps en temps, mais c’est plus rare qu’celui des autres Clans. Et en général ils sont plus lents, ceux-là. D’ailleurs... » Il désigna à nouveau un autre endroit : c’était un long couloir de terre où l’herbe ne poussait plus. Il reliait la tanière des Bipèdes et le pont qui menait aux Quatre Chênes. Onde de Soufre s’en rapprocha, s’assurant que Nuage Ailé le suive. « Là c’est un chemin qu’utilisent les Bipèdes, les monstres, et parfois des Bipèdes sur les quadrupèdes à sabots que je vais te montrer plus tard. C’est vraiment très rare cependant, et ils ont pas tendance à aller super vite. Sois juste sûre de regarder à gauche et à droite avant de traverser. » Il vérifia que personne ne s’approchait, fit signe à Nuage Ailé de le suivre, et arriva de l’autre côté du chemin, où les herbes se faisaient plus hautes, si bien que l’apprentie s’y retrouvait presque noyée. Il se retint de se moquer malgré sa tentation à le faire, et arriva près des rondins de bois assemblés par les Bipèdes. « De l’autre côté, c’est le territoire des quadrupèdes à sabots. J’te conseille pas d’y aller : y a pas grand-chose, et j’ai installé un dispositif pour les rendre plus agressifs afin qu’ils chassent les chats qui s’approchent d’eux. On avait pas mal d’incursions des chats du Clan du Vent, donc on n’a pas eu trop le choix... »

Je suivis mon mentor, après avoir écouté ses explications. Il parlait de quadrupèdes à sabots. Je ne savais pas ce que c'était, mais me souvenais en avoir entendu parler.
Nous nous sommes ensuite dirigés vers une bande de terre, au milieu de l'herbe. Onde de Souffre m'expliqua ce que c'était, et nous avons traversé le chemin vers de hautes herbes. Je me retrouvés entièrement dessous, je ne voyais plus que du vert. Je commençais alors à me fier à mon odorat et mon ouïe, afin de repérer le guerrier.
J'emergeais enfin de la verdure, et vis du bois, bizarrement mis. Il partit alors dans d'autres explications: "De l’autre côté, c’est le territoire des quadrupèdes à sabots. J’te conseille pas d’y aller : y a pas grand-chose, et j’ai installé un dispositif pour les rendre plus agressifs afin qu’ils chassent les chats qui s’approchent d’eux. On avait pas mal d’incursions des chats du Clan du Vent, donc on n’a pas eu trop le choix... "
J'ouvris grand les yeux, étonnées qu'un chat puisse construire un dispositif à rendre les chevaux agressifs. Ça me paraissait étrange tout de même. Je hochais la tête, pour lui faire signe que j'avais compris.

Elle semblait perplexe. C’était normal. Peu de gens accordaient du crédit à ses ruses, et même le plus crédule des chatons se permettrait d’être étonné. Quelque part, si elle ne croyait pas naïvement son mentor, c’était qu’elle faisait preuve d’un minimum d’esprit critique ; c’était important. Il se remit en route sans un mot et la fit longer le territoire des quadrupèdes à sabots. Ils en virent un ou deux, mais Onde de Soufre s’assura de les faire rester à l’écart. Enfin ils arrivèrent près d’une zone en contact avec le torrent, et il désigna les grandes étendues vertes au-delà : « Là, c’est l’entrée du territoire du Vent. Ils ont plein de lapins et d’espace, mais crois-moi, on n’a rien à leur envier. Eux par contre, ils aimeraient bien avoir plus de place. Ils essayent de grignoter nos terres parce qu’on a quelques lapins par ici. » Il se pencha un peu par-dessus le vide, indiquant à Nuage Ailé de ne pas trop s’approcher, mais lui faisant signe de pouvoir tout de même essayer d’y jeter un œil.

« Ça, c’est le torrent. Y a beaucoup de rochers, c’pas super profond, donc c’est très risqué. La plupart des chats qui y sautent survivent pas. Une fois, j’ai été obligé de l’emprunter. Heureusement qu’j’étais bon nageur. Dans l’idéal, le fais pas. » Il marqua une pause : « Si ça t’arrive, par contre, faut que tu sortes au niveau du pont, pas après. Sinon le courant sera trop fort. J’vais te montrer. » Il trottina jusqu’au pont construit par les Bipèdes, vérifiant que Nuage Ailé le suivait tranquillement. Elle semblait en train de fatiguer ; c’était normal. Le territoire était grand, et elle était encore trop peu entraînée pour tenir un tel rythme. Cela viendrait avec le temps. Ils devaient être au tiers du jour quand ils s’arrêtèrent près du pont. « Là, c’est le pont. En contrebas y a une crique d’où tu peux remonter si t’es dans l’torrent. On l’utilise aussi si on doit passer discrètement d’une rive à l’autre pour arriver aux territoires neutres. On les visitera un autre jour. » Il s’arrêta, sourit, et demanda, soucieux : « Ça va aller ? »

Nous sommes repartis, longeant le territoire qui abritait ces grandes bêtes aux grosses pattes. Une seule patte pouvait tuer un chat. Je frémis à cette pensée, concentrant mon esprit sur le chemin que nous suivions. Nous arrivions près d'un torrent, plein de cailloux coupants. Onde de Souffre me désigna la grande prairie, en disant: "Là, c’est l’entrée du territoire du Vent. Ils ont plein de lapins et d’espace, mais crois-moi, on n’a rien à leur envier. Eux par contre, ils aimeraient bien avoir plus de place. Ils essayent de grignoter nos terres parce qu’on a quelques lapins par ici."
J'écoutais attentivement, puis le suivit vers un ravin. Je m'arrêtais, de peur de tomber. Je jetais un œil en bas et vis que d'imposants rochers dépassaient de l'eau. Il m'expliqua que c'était dangereux, à cause des pierres qui sortaient leurs pointes de l'eau peu profonde.

Il repartit en trottinant, je le suivis à la même allure. Enfin, j'essayais. Mes pattes commençaient à devenir lourdes, elles traînaient un peu dans la poussière. Mais je continuais tout de même.
Nous sommes arrivés près d'une structure en bois, qui passait au dessus du torrent. Mon mentor appela cette chose un pont. Il m'indiqua un endroit où remonter, si je tombais dans le ruisseau, avant que le courant ne soit trop puissant.
Puis il me demanda, d'un ton un peu inquiet: "Ça va aller ? "
Je lui répondis, avec un sourire:

- J'ai un peu mal aux pattes mais ça va.

Je m'assis un instant, pour lécher les coussinets endoloris. Je tirais sur une petit épine plantée, l'enlevant doucement. Puis je levais le regard vers le guerrier, me demandant si il allait nous faire rentrer ou si nous allions visiter encore un peu le territoire.

Onde de Soufre se détendait au fil de la visite mais la pression demeurait suspendue au-dessus de sa tête, prête à s’effondrer sur lui d’un seul coup sans crier gare. Il n’était même pas encore midi ; ils avaient encore un peu de temps avant de devoir rentrer pour le repas et le partage. Il décida de la conduire jusqu’à la rivière. Ils la longeraient puis retourneraient au campement à partir de là. Cela semblait être la meilleure solution : elle ne pouvait pas dignement affirmer qu’elle avait visité le territoire de la Rivière sans s’être rendue à leur plus grande fierté, tout de même ! Lorsqu’il vit qu’elle semblait être en meilleur état, il se remit en route, lui disant : « J’vais te montrer la rivière. C’vraiment un endroit génial ! »

Depuis l’île du camp, les chatons pouvaient voir les courants et quelques endroits de la rivière, mais la broussaille masquait une bonne partie de celle-ci. Il n’y avait donc qu’une fois qu’ils étaient sortis qu’ils la découvraient au grand jour, éclairée par la lueur du grand soleil ! Ils arrivèrent très rapidement en bordure du grand torrent d’eau claire, où clapotaient quelques poissons. Onde de Soufre fut tenté de plonger pour en attraper quelques-uns, mais il refréna cette envie, son apprentie l’accompagnant. Il ne pouvait vraiment pas l’abandonner derrière, même si c’était vraiment tentant…

Il s’assit au bord de la rivière, la regardant et laissant le temps à Nuage Ailé de l’admirer. La première fois où il l’avait vue ainsi, sauvage et déchaînée, lui avait toujours laissé un merveilleux souvenir. Il espérait qu’elle puisse en profiter aussi.

Une fois que je fus remis d'aplomb, Onde de Souffre se remit en route, moi sur ses pas. Il me dit qu'on allait aller voir la rivière, un endroit génial. Je le suivis avec hâte. La rivière était ce qui nous représentait, je ne pouvais pas ne pas la voir.
Nous sommes arrivés près des flots, la rivière coulant à tout allure dans son lit. Les poissons nageaient de-ci delà, sans se soucier des deux chats qui les regardaient. Mon regard émerveillé embrassait le paysage, avec une curiosité non contenue.
Je m'approchais de la rivière, trempant la patte dedans. Ma patte bloquant une partie du court de l'eau, celle-ci se mit à partir dans tous les sens. Notre principale source de nourriture brillait au soleil de fin de matinée, d'un éclat qui restera gravé dans ma mémoire. Notre monde, pleins d'horreurs était aussi remplis de merveilles et de beauté. Les arbustes reflétaient leur forme dans l'eau, comme un double monde. C'était magique. Un vol d'oiseau passa, dédoublé dans les flots par des poissons.
Je m'assis sur une roche au bord de l'eau, ma patte se faisant ballotter par le courant. Je le retournais vers mon mentor, un grand sourire aux lèvres:

- C'est magnifique ! Je n'avais pas imaginé notre monde comme ça !

Mes yeux brillaient de joie, ma curiosité de chaton encore ancrée en moi. J'observais tout ce qu'il y avait autour de nous, particulièrement la rivière. J'essayais d'attacher ça en moi, pour ne jamais l'oublier.

La joie de la chatonne était communicative ; la voir aussi ravie transporta Onde de Soufre à son tour. Elle était émerveillée, emportée dans un torrent d'enthousiasme et d'excitation qui battait le sol et l'air plus que l'eau qui clapotait devant eux. Peut-être que tout se passerait bien, finalement. Il se permit de fermer les yeux et de sourire en tirant la langue, s'abandonnant à une attitude enfantine à son tour. Il avait besoin de déstresser un peu ! Depuis hier, il était complètement tendu et avait complètement oublié de profiter du moment. Il était mentor ! Il allait partager une relation unique avec Nuage Ailé - ils allaient vivre beaucoup d'aventures à deux, il lui enseignerait tout ce qu'il savait, il lui présenterait comment être une guerrière tout en ayant des valeurs et sachant profiter de la vie ! Il voulait en faire une grande, plus tard ; peut-être deviendrait-elle chef ? Ce serait trop génial ! Il ronronna de satisfaction, soudain empli de motivation, puis la laissa admirer la rivière avant de lui proposer qu'ils ne retournent au campement. « Tu pourras participer à la cérémonie du partage et t'reposer un peu. On commencera l'entraînement cet après-midi ! »

Nous sommes restés un instant au bord de la rivière puis Onde de Souffre dit: "Tu pourras participer à la cérémonie du partage et t'reposer un peu. On commencera l'entraînement cet après-midi ! "
Je lui répondis un "d'accord" enjoué et nous nous sommes dirigés vers le campement. Arrivée la bas je lui demandais curieuse:

- On va commencer par quoi ? La chasse ou le combat ?

J'attendis sa réponse avant de lui poser une autre question:

- Je pense aller chercher un poisson tu en veux un aussi ?

Une fois sa réponse donnée je me dirigeais vers le tas pour prendre ce dont j'avais besoin. Je revins vers mon mentor en trottinant avant de m'assoir à côté de lui pour manger mon poisson.

« L'combat, pardi ! » fit Onde de Soufre sans hésiter une seule seconde. « Si tu sais pas t'battre, tu sauras pas pêcher non plus. Ouais, non, en fait, c'est plutôt l'entraînement au combat qui t'aidera à pêcher, » se corrigea son mentor après brève réflexion. Il se perdit dans le fil de ses pensées quelques instants lorsque Nuage Ailé lui demanda s'il souhaitait qu'il lui ramène un poisson. Il secoua la tête négativement et déclara : « Nah, j'ai pas faim. » Quelques dizaines de secondes plus tard, quand son apprentie fut revenue, il s'était allongé sur le ventre, réfléchissant à ce qu'il ferait cette après-midi avec Nuage Ailé. Il ne voulait pas l'ennuyer, lui demander des choses trop difficiles, ou quoi que ce soit du genre. C'est alors qu'il se rappela du code du guerrier, de ses devoirs de mentors, et s'exclama : « Eh ! Tu as pensé à demander aux anciens s'ils voulaient du poisson, avant ? Sache que c'est ton job d'apprenti que de le leur ramener, maintenant ! » Bien que n'aimant pas imposer des tâches car il haïssait en recevoir, Onde de Soufre se devait d'inculquer le respect des anciens par l'implication de Nuage Ailé auprès d'eux. Donc elle n'y couperait pas !

Je mangeais mon poisson quand le guerrier s'écria: "Eh ! Tu as pensé à demander aux anciens s'ils voulaient du poisson, avant ? Sache que c'est ton job d'apprenti que de le leur ramener, maintenant !"
La honte m'envahit: je venais de zapper un passage important du code du guerrier: le clan devait passer avant nous même. Je bondis sur mes pattes en parlant précipitamment:

- J'y vais je reviens !

Je partis en courant vers le fond du camp ou se trouvait les tanières, abandonnant mon poisson à moitié mangé. Je fis un crochet à la pouponnière, demandant aux reines ce qu'elles voulaient en poisson. Je retins dans ma tête qu'il fallait un poisson pour les reines et je me dirigeais chez les anciens. À eux, il fallait deux poissons. Je partis vers la réserve et pris ce dont j'avais besoin. Je fis ma distribution et retournais près d'Onde de Souffre.

- Voilà c'est fait.

Je finis de manger mon poisson et m'étirais un peu. Je ne savais pas si on repartait tout de suite, je décidais donc d'attendre que mon mentor me fasse signe.