Vois-tu, ou bien regardes-tu ? ~ Rhyo ft Nuage Astral

Le soleil dessine une ligne rouge à l’horizon.


Il fait bon se balader dans la lande lorsque le soleil se lève juste. C’est rare que le domestique soit déjà ici à cette heure-là ; mais rien n’est impossible, et Rhyolite ne suit aucun programme ou emploi du temps à la lettre. Il est libre d’aller et de venir, selon ses désirs. Bien qu’habituellement, il se lève légèrement plus tard, il n’existe aucune forme d’uniformité, et son quotidien est fait de pensées, de promenades et de surprises. Il ne faut pas s’enfermer dans un quotidien monotone qui serait pire que la mort. Vivre sans connaître la raison est la pire erreur que nous puissions faire selon le félin gris et roux. Le regard perçant et affûté, le félin déambule sur les terres qu’il connaît sans connaître, se laissant aller au gré de ses pas, et il voit les herbes et les roches sans les regarder.
Il lève ses yeux orangés vers le ciel et contemple les teintes rosées qui s’estompent pour laisser place à un ciel anormalement bleu pour la saison, et chaque matin il contemple ce ciel, comme une habitude ancrée dont il ne saurait se détacher. Rhyolite songe et se demande si ce n’est pas paradoxal ; d’un côté, il veut être libre et faire ce dont il a envie, c’est-à-dire n’être soumis à aucune contrainte. Mais il se lève pourtant chaque matin à la même heure afin de contempler le lever du soleil, comme si sa façon d’être libre était de s’imposer ce lever chaque jour.


Il n’est pas rare d’avoir des opinions divergentes sur la soi-disant liberté, car personne n’est d’accord au final. Chacun a sa vision propre, et bien qu’il existe une définition qui semble universelle, puisque chacun s’accorde à dire que liberté égale “faire ce qu’on veut”, pour être bref. Rhyolite ne veut rien. Ni vivre, ni mourir, il erre entre deux mondes où rien n’est sien, hormis le lever du soleil, puisqu’il a décidé de se l’approprier. Tout le monde pourrait voir le lever du soleil. Il ne tient qu’à eux, les autres, de se lever suffisamment tôt pour le voir. Bien sûr, Rhyolite en est conscient et il ne désire pas se l’accaparer, rien que pour lui, et être le seul à en profiter. Il est plutôt, au contraire, du genre à inciter les autres à se lever tôt afin d’observer le spectacle. Du moins il le serait s’il avait quelqu’un à inciter. Disons que Rhyolite a décidé de faire sien ce moment de la journée, où il peut avoir l’esprit vide de toute pensée désagréable.
Oui, c’est plutôt le temps qu’il s’approprie, et non pas une chose concrète. Il n’a nullement besoin de choses concrètes, objets, nourriture, ou compagnie ; tout cela est futile. Ainsi, Rhyolite observe le lever du soleil et ce trait rouge à l’horizon tandis que d’autres se contentent de le voir, s’ils sont levés. Le domestique s’interroge alors sur la possibilité qu’une autre personne puisse contempler également.


Il voit ce félin, et observe le ciel. Rhyolite décide d’inverser ; il baisse son regard de braise et laisse le ciel bleu s’épanouir sans lui, et observe le jeune chat qui apparaît à lui. Il n’a rien à lui dire. Rhyolite a dépassé des frontières, et étrangement ce n’est pas la première fois, et certainement pas la dernière, car s’il apprend de ses erreurs passées, le félin bicolore a décidé de passer outre les obligations et les réglementations.
Que peut-il advenir après tout ? Une mort subite, personne ne se souviendra jamais de cette existence misérable menée par un chat sans importance. Ou bien, plus probablement, rien du tout. Rhyolite n’a que faire des rencontres, généralement. Rien n’est important.

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Rhyolite écoute et entend le jeune félin. Il continue à l’observer comme si c’était lui l’étranger, ce chat blanc et gris, sorti de nulle part. Le domestique se perd à nouveau dans ses pensées, et dans les yeux bleus du jeune, et le silence l’entoure sans que rien ne puisse pénétrer à l’intérieur de sa bulle. Comme si un mur de pierres avait été érigé autour de lui, mur sans doute surmonté de ronces épaisses et infranchissables. Mais le silence n’est pas son allié ; loin de là, et il faut se détacher de cette idée saugrenue qui ne saurait démontrer la vérité. Car Rhyolite, s’il aime le calme et la solitude, n’apprécie le silence qu’à sa juste valeur, c’est-à-dire comme quelque chose de nécessaire de temps à autre, mais dangereux lorsqu’il y a un abus. Rhyolite en abuse très certainement, se refermant sur lui-même tel un coquillage, se laissant imprégner de ce silence oppressant. Il se tait et reste immobile, mais ce n’est pas pour défier l’autre félin qui lui ordonne de partir.
Il reste immobile et il ne parle pas.
Il reste immobile car il a peur et que la peur le paralyse.
Il se tait car il n’a rien à dire, il ne voudrait pas parler si c’est inutile et cela lui paraît inutile. Il n’y a pas à discuter, il ne doit pas être là et il ne sait même pas pourquoi il est là. Certainement parce que depuis la lande, le ciel est plus dégagé et qu’il peut voir facilement le ciel devenir rouge, orange, rose, ou mauve. Rhyolite ne désirait qu’être libre et observer le soleil se lever. Malheureusement, la durée est trop courte et rapidement, l’astre du jour se dessine dans le ciel, grosse boule jaune qu’on ne peut regarder sans se brûler les yeux.
C’est le moment que le domestique veut voir. Ce moment où le soleil est orange vif, où le ciel est sanglant, mais il ne peut l’observer ; chaque jour, il rate ce moment.

Il s’est approché de Rhyolite la tête haute, comme s’il n’avait pas peur ; l’odeur pourtant envahit l’air, et s’il y a bien celle du chat domestique, il y a également celle du jeune tout près de lui. Rhyolite n’a pas peur de mourir, du moins en a-t-il l’impression. La mort n’est qu’un passage, certes le dernier, qu’il faut savoir accepter afin de vivre. Ainsi, le domestique en question ne réagit pas, et continue sa contemplation du pelage gris et blanc, des yeux bleus du jeune chat devant lui qui est menaçant. Trop de pensées tournent maintenant en boucle dans l’esprit confus du chat de Bipèdes.
D’ordinaire on s’excuse pour sa présence intrusive, pour une faute commise que l’on regrette. Mais Rhyolite ne regrette pas. Il se fiche bien d’être ici ou ailleurs, seulement, d’ici il peut voir le lever du soleil, et sous le couvert des arbres ou des hautes bâtisses humaines, il ne peut point. Il ne regrette pas, comme il ne s’excuse pas d’être à cet endroit tandis que des guerriers expérimentés auraient pu lui faire la peau. Rhyolite ressent une pointe de bonheur aujourd’hui, car il a vu le lever du soleil depuis la lande, ce qui est rare, et il aime ça. Il se met soudain à songer au bonheur ; il est éphémère, et n’existe que lorsque l’on crée quelque chose, accompagné d’un sentiment de fierté, ou bien lorsque l’on fait quelque chose que l’on aime et que l’on ne fait guère souvent. Ce serait lassant, autrement.
Rhyolite n’a qu’une chose à dire et ce ne sont pas des excuses ni une salutation.

“As-tu regardé le lever du soleil ?”

Puis il se tait à nouveau, comme si c'était assez. Comme si c'était naturel de dire ça, et plus rien ne semble importer au matou qui laisse le silence revenir à lui.
Rhyolite s'est tu et ne veut pas parler à nouveau. On ne peut savoir s'il attend une réponse, et il se remet à observer le ciel.

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Non, c’est faux, évidemment. Tout le monde ne regarde pas le lever du soleil. Chez Rhyolite, les chats domestiques se lèvent à midi, ils n’ont jamais le temps de voir le lever du soleil. Et encore moins de le regarder, de le contempler comme lui le fait. On pourrait facilement penser que Rhyolite est fou, ou dérangé ; il n’en est rien, bien entendu, car il est en possession de ses moyens et ce qu’il fait, il le sait, il le réfléchit, il le choisit. Se lever si tôt chaque matin, seulement pour regarder le ciel, voilà qui n’est pas banal pour la plupart. Les chats domestiques ne pourront jamais comprendre pourquoi Rhyolite regarde ce ciel à la même heure chaque matin, car ils préfèrent dormir et ne comprennent pas que quelqu’un puisse préférer se lever.
Rhyolite lui, comprend qu’on puisse préférer dormir. Mais il choisit de se lever, bien que rien ne l’empêche de dormir si ce n’est qu’un tourment, un mauvais rêve ou un souvenir trop présent. Bien sûr, cela arrive, cela est fréquent même, mais quelle importance, après tout, puisque le soleil se lèvera de toute façon. Quoi qu’il se passe ici ou là-bas, le soleil va se lever, toujours, pareillement aux jours précédents et on pourrait qualifier cela de monotone, si seulement on ne se donnait pas la peine d’observer le lever de l’astre lumineux.

Rhyolite, chez les chats domestiques, est encore assez jeune ; il n’a pas encore cinq ans, et pourtant on oublie souvent que par-delà les habitations des humains, et au sein même de la ville sale et grise, vivent des chats sans foyer, qui errent, et des Clans. Ceux-là ne font que survivre, et là encore, les chats solitaires errant dans la ville ne regardent pas le lever du soleil. Ils se maintiennent éveillés et vivants par tous les moyens qu’ils parviennent à se procurer. Vols, chasse, etc. Rhyolite ne les blâme pas car ils ont besoin de survivre. Ils se lèvent bien avant le soleil, ou plutôt se couchent bien après que le jour soit levé, et pourtant, s’ils voient le lever du soleil, ils ne peuvent le contempler comme le fait Rhyolite. Le matou gris et roux est plutôt tranquille et mène sa vie, calmement, tandis qu’une tempête furieuse dévaste son esprit et son corps.
Il s’interroge sur le jeune félin. Peut-être qu’il ne regarde pas. Peut-être qu’il le prend pour un vieux sac à puces, ce qu’il n’est pas, puisque Rhyolite est tout à fait en forme. C’est un chat domestique et à son âge, les autres domestiques courent encore après une feuille d’automne téméraire qui virevolte dans le vent.
La vie forge le caractère et rend plus endurant, et plus expérimenté. Rhyolite expérimente le silence. Il y aura toujours des choses à réfléchir et à penser, mais quelqu’un peut très bien les penser ailleurs, et tout s’éteindra en même temps que lui. L’oubli est inévitable, le principal étant de ne pas s’oublier soi-même tandis que la vie consume.

“Tu as tort.”

La voix rauque s’élève dans le ciel désormais clair. Le jeune ne comprendrait certainement pas. Il n’a pas cinquante lunes derrière lui, il n’a pas perdu sa seule raison d’être. Et pourtant il faut continuer à vivre et à avancer, puisque le temps avance lui aussi. Il ne faut pas se perdre en cours de route et si Rhyolite a l’air perdu dans sa contemplation et dans ses pensées étranges, il est certainement moins perdu qu’un autre qui avance sans connaître la destination.

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