Assemblée de Février

when we see the full moon, I know it's the end of me

Je te supplie de ne pas me laisser,
De ne pas m’abandonner.
N’avons-nous donc pas été,
comme une seule âme pendant toutes ces années ?

Au loin, Lointains Esprits discutait avec une femelle, sa compagne tandis que le regard de la guérisseuse était posé sur eux deux. Elle savait. Elle savait qu’ils prévoyaient d’avoir une portée. Comment ? Comment lui dire, là, qu’il lui manquait au-delà des interdits ? Il demeurait dans ses pensées, indéfiniment, sans partir, lui collant à la peau et la terrassant. Elle le désirait, elle le demandait à ses côtés et pourtant, même si elle venait à crier, il ne reviendrait pas. Alors elle ne bougeait pas, toujours au même endroit, comme si c’était la destinée même que son coeur soit vide de haine et rempli d’un amour triste à pleurer. Immobile, le vent caressant son pelage, les yeux secs et le coeur empli de larmes. Rien ne coulait ni ne transparaissait dans ses yeux sinon ce vide particulier qui la poursuivait. Cette envie de poursuivre son but s’était évanouie dans le ciel dès l’instant où les deux billes pâles avaient croisé ce pelage presque aussi blanc que le sien.

Quand il était présent, plus rien autour n’existait. Plus rien d’autre que ce mâle qui venait à prendre toute la place dans l’esprit de la féline au pelage aussi blanc que la neige, fantôme. Plus rien d’autre n’existait puisqu’il s’étendait partout et faisait disparaître les autres, la vie, le temps, la mort, les buts, l’existence même et elle ne savait pas comment faire pour se détacher de lui, regarder ailleurs. Elle était aimantée par lui, et son regard se ramenait inévitablement sur ce corps massif qui lui avait un jour appartenu. Il était là-bas, parlant avec une guerrière, intégrant ce monde que la guérisseuse n’aurait jamais la chance de connaître. Monde de combat qui n’avait point d’interdits dans l’amour. Elle aurait pourtant été prête à tous les sacrifices pour lui, alors pourquoi c’était cette femelle inconnue qui avait la chance de lui parler à présent.

Parce que dans l’air demeurait les questions,
Parce que dans les secrets, on y trouve rédemption,
Parce que dans le silence, on y trouve incompréhension,
Parce qu’elle souffrait et qu’il souriait,
Parce que l’amour pousse à tout.

Elle restait. Et il était là, vers l’entrée du camp, Lointains Esprits. Elle ne pouvait rien voir d’autre que lui, ce guerrier de deux lunes plus jeunes qu’elle, cet inconnu aux souvenirs en commun. Se souvenait-il seulement ? De ces nuits passées dehors, de ces mots échangés, de cet amour partagé il y a de cela bien trop de lunes. Se souvenait-il… se souvenait-il ? Et alors il disparut, en dehors du camp, loin, loin des yeux de la femelle portant le nom d’Esprit du Vent. Ainsi, le bruit, doucement, recommença à exister et la vie l’enveloppa bien trop brusquement. Elle en sursauta. L’efferversence tout autour d’elle, les chatons au loin qui parlaient et faisaient monter dans son coeur une sensation de révolte intense, les paroles des guerriers, tout tournait autour d’elle et lui montait à la tête en lui donnant envie de couper court à tout ce bruit, cet essaim d’abeilles qui l’entourait et menaçait même de la piquer, pourtant lorsqu’elle se leva, dans l’optique de fuir, le destin la coupa net. Pas qu’elle crut à cette théorie que tout était écrit d’avance, non, bien sûr que non.

Parce que chaque geste avait une conséquence, et que cette conséquence n’était pas inscrite.
Parce que même si rien n’était écrit, le hasard et les coïncidences n’existaient point.
Parce qu’elle le pensait vraiment et qu’elle n’était ni fataliste ni réaliste, pas même optimiste ou pessimiste.
Parce qu’elle croyait, tout simplement. Et que croire était l’essentiel.

Ainsi, quand elle s’apprêtait à fuir la vie et les souvenirs d’un passé aussi lointain que celui portant ce mot dans son nom, Étoile Électrique se fit voir. Assemblée du Clan. Pourquoi ? La guérisseuse se le demanda en soupirant d’un énervement à peine masqué. Gracieuse, elle y vola presque tout en se tenant loin de tous ces chats qu’elle jugeait comme minables. Minables à tous s’entasser dans son gîte quand ils se blessent. L’assemblée. La lune ronde. Merde. La trêve de paix inutile et ridicule. Et alors ils s’élancent et Esprit du Vent suit sans grande envie, mais la guérisseuse ne pouvait pas ne pas y aller. Malheureusement. Alors elle suivait. Terriblement. Pourtant, dans cette malchance, elle eut la chance que cet être si fabuleux ne soit pas choisi pour faire partie des chats venants. Elle aurait défaillie sinon. Elle aurait perdu le nord, son rang, elle aurait tout perdu. Mais là, elle marchait, elle survolait les terres de ses pattes si fines, elle marchait et n’arrêtait pas de marcher. Elle poursuivait sa route avec les autres chats de ce Clan. Et ils arrivèrent. Le Clan du Tonnerre était déjà arrivé.

Il y a des notes d’espoir, des images qui saturent,
Il y a ceux qu’on ne voit pas et il y a les statues.
Il y a ceux qui aboient et quelques vraies statures
Il y a ceux qui ont la foi et il y a les postures.
[...] il y a le temps des grands soirs et le temps des blessures

Comme à son habitude, Esprit du Vent se mit en retrait, pour avoir un regard d’ensemble sur toutes les vies qui grouillaient là, même si parfois, la mort la foudroyait de par sa présence en ces lieux. Elle ne savait pas en faire abstraction et elle pouvait passer ainsi tout le temps de la réunion à tenter de trouver qui serait le chat que la mort se déciderait de happer, souvent en vain. Elle repartait frustrée et déçue, mais persuadée qu’elle saurait trouver ce remède pour les ramener à la vie, un jour, peut-être lorsque la saison claire serait de nouveau là. Sans émotion, elle dénota l’arrivée du Clan de la Rivière. Elle s’était déconnectée et plus rien n’était elle, plus rien ne lui arrivait, elle n’existait pas et l’Esprit du Vent qui était là n’était pas elle. Elle n’était plus qu’une observatrice de sa voix, un robot. Rien ne lui appartenait. Combien de temps se passa avant que le Clan du Vent n’arriva ? Esprit du Vent n’en avait pas la moindre idée. Elle écoutait les bourdonnements des voix tout autour d’elle et quelque chose dans l’air ne la rassurait pas. Mais ne l’inquiétait pas. Elle savait juste que l’orage pourrait éclater. Mais ça ne l’atteignait pas. Ce n’était pas grave. Elle regardait la pluie.

Maintenant que le Clan du Vent était là, l’Assemblée pouvait commencer. C’était à voir qui aller se décider de parler en premier. Est-ce que leur meneur avait quelque chose à raconter sinon des baptêmes - peut-être - ? Esprit du Vent ne pensait pas, non, que quelque chose notait une importance particulière à annoncer. Les temps étaient calmes, si sa connaissance ne lui faisait pas défaut. Et le Clan du Tonnerre ? Étoile de Neige désirerait peut-être prendre la parole la première ou alors ce serait Étoile de Spirée, du Clan de la Rivière. Tout comme ce pourrait être la nouvelle arrivante, le Clan du Vent, représenté par Étoile de Rose, qui commencerait à parler. Esprit du Vent s’en fichait. Du moment qu’ils se dépêchent pour clore au plus vite une trêve oh combien hypocrite.