Qui es-tu ? Sûrement pas de l'herbe à chats ~ FT Lyriel

Je ne suis rien d'autre que ce que tu crois que je suis

ft. Wing

┼ These five words in my head scream “Are we having fun yet?” ┼

L’ombre me glace. Le vent est la première chose que je sens en ouvrant les yeux. Puis je vois le noir qui est tombé et après, seulement après, j’aperçois deux petites billes cachées qui m’observent, me dévisagent, de la tête au bout des pattes, comme pour m’analyser et connaître d’avance mes réactions, tel un traqueur ferait pour identifier adéquatement sa proie. Je sens mon pelage devenir chaud, mes veines progressivement apparaître comme bouillantes dans mon corps, et je suis debout en moins de temps qu’il ne faut pour dire le mot souris. C’est rapide, ma réaction est instinctive. Je ne me ferais pas attraper peu importe qui est le chat qui me fixait dans la noirceur de ce moment, de la saison, alors que la journée avait été effacée par le soleil couché. Je suis seul. Toujours seul. Avec elle. Elle qui n’a pas de noms, parfois accompagnée par d’autres. Cette voix qui surgit des ténèbres pour m’engloutir dans des eaux dont je ne peux ressortir indemne. Elle ne me quitte pas, ne me lâche pas, mais je reste solitaire dans ma tourmente. Je ne vois plus rien d’autre que l’urgence de la fuite qui s’annonce à mon être et je dégage de l’endroit où j’avais finalement accepté de me reposer, à bout de souffle. Il n’est plus temps de prendre du sommeil, il est temps de partir avant que mon corps ne soit retrouvé au petit matin enterré sous terre… ou jamais retrouvé, au final. Qui sait ? Il ne restera peut-être rien de moi si je me fais attraper. Alors je dois courir. Courir parce que ma vie en dépend. Courir parce que le jour ne se lèvera pas et que la saison froide règnera en maître dans mon cœur pour le congeler éternellement. Je suis dans un Royaume de Solitude, un Royaume de Glace même et ce Royaume est ma destruction elle-même, sauf que je n’en éprouve pas la moindre souffrance autre que le gouffre agité de méfiance apeurée.


Je fais halte. Je ne sais plus depuis combien de temps je fuis, mais rien ne me pourchasse. En regardant l’emplacement, qui est presque totalement effacé, mais j’en vois encore l’arbre imposant, je n’aperçois rien. Pas l’ombre même d’une présence quelconque qui aurait donné de la puissance à mon histoire. Ai-je imaginé ? Non. Il y avait un chat prêt à me sauter dessus pour obtenir ma vie. Ils tenteront toujours de faire en sorte que la mort emporte mon essence vitale elle-même, tenteront toujours d’attraper ce qu’il reste de l’être que je me trouve ironiquement à être pour le faire disparaître sans qu’on ne le remarque. Personne ne viendra à notifier l’absence d’un solitaire fantôme dont on ne connaît pas même le nom, ou alors on l’a oublié. Je ne suis rien ni personne et cela me va ainsi, je ne crée ni douleur ni haine ni joie. Des sentiments que je ne comprends pas. Ce n’est pas que ça me fait quelque chose, c’est seulement que je considère cela comme une menace. Tout peut vite devenir une traque, peu importe la raison, le motif derrière et moi, je dois déjà fuir les souvenirs de mon passé qui me hantent et ces chats qui me poursuivent, matérialisations simples de mon esprit, bien qu’ils existent pour moi, donnant sens à ce que je fais, ce que j’exécute. Donnant sens au peu de sommeil qui me permet de vivre. Sans quoi, tout perdrait de sa logique et je n’aime pas trop ça. Le temps me fuit déjà, et moi je fuis le temps. Drôle de situation, peut-être un peu paradoxal. N’est-il pas contradictoire de fuir quelque chose qui nous fuit ? Je ne sais pas trop, je me perds dans mes pensées et dans mes raisonnements tout en tentant de m’éloigner de l’emplacement où j’ai observé un de ces félins qui me pourchassent. Je ne veux pas qu’il parvienne à mettre la patte sur moi. Je ne survivrais pas.


Et je veux survivre.
À la limite, exister.


Alors je cours. Puis marche. Puis reprend au pas de course sans même me préoccuper de l’endroit où je me rends. Sans même tenter de savoir où je me dirige, où mes pattes me portent, où les paysages changent. Je ne fais attention à rien d’autre qu’à ne pas être suivi. Le temps s’étire, s’arrête et se remet à s’écouler comme moi je reprends ma fuite. On est décalé et on s’accorde à la fois. Toujours une contradiction qui persiste dans l’existence même du fantôme qui porte mon prénom et s’apparente à moi : il est roux et blanc, avec des touches de noir plus prononcées que le blanc, ce blanc qui traîne par poudre. Je suis un fantôme coloré qui erre sans laisser de traces. Se souvient-on de moi ? J’en doute. Je ne marque pas les esprits. C’est toujours mieux ainsi. Mes attaquants savent arracher des pensées les informations désirées. Moins je marque moins je suis en danger, et je ne suis pas de ceux qui bravent le danger en se pensant invincible. Mes limites, je les ai déjà testées. Ce serait un peu intrépide de ma part de les tenter encore, et surtout, le temps me manque pour faire cela ; la vie me manque également. Ce serait me rapprocher de la Mort et plus je m’y rapproche, plus je risque d’y succomber. Ce n’est pas mon désir, loin de là. Ainsi, je me vois obligé d’accepter que mon corps et mon esprit se soumettent à des limites que je connais parfaitement. Tant mieux. Je ne serais pas intelligent de ne pas les connaître et la stratégie est, bien sûr, de savoir qui on est. D’avoir une conscience importante de nos capacités.


C’est mon cas.


Je m’arrête. Où suis-je ? Je n’en sais rien. Dans une lande, je crois, appartenant à quelqu’un déjà, sûrement un Clan, car l’odeur des félins y est forte et il se trouve que c’est toujours la même. Je suis dans un autre type de danger, car je sais les chats sauvages peu accueillants avec les intrus tel le félin que je suis. Quelques instants se passent avant que je ne réalise me trouver dans un buisson. Un simple buisson. Rien d'extravagant du tout. Mais je me perds dans mes pensées, alors même que la Voix ne s’est pas manifestée, car elle ne possède pas le moindre nom, seulement la Voix et ça suffit, à mes yeux, pour la décrire. Alors que je tends encore à m’enfouir dans des abîmes si profondes, refuges de mon esprit qui réfléchit, un mouvement devant moi hérisse mon pelage une fraction de secondes. Je suis vide, vide de ressentiments, mais aussitôt que je suis tiré hors de moi, la méfiance s’invite dans mon être tout entier, avec cette peur qui est toujours là, sans donner le pressentiment de désirer s’évanouir dans mon sang et être évacuée de quelque manière qui soit. Je me traîne toujours avec une terreur, frayeur, et toutes les nuances de peur qui puisse exister, avec la colère aussi, plus rare, et la méfiance. Ce sont les seules émotions que je peux observer en moi. Comme j’ai pris un bon moment à comprendre ce dans quoi je me trouvais, je prends encore des secondes pour identifier que ce qui me fait face, qui a bondit pour attraper une proie illusoire à mes pattes, n’est rien d’autre qu’un autre chat. Une femelle. Elle me crache de dégager. Elle ne veut pas savoir la motivation de ma présence, elle s’en fout elle. Elle protège son territoire, mais qui protège son âme ? Je me le demande. Moi, je n’ai plus d’âme. Dévorée par les ténèbres.


« Peut-on considérer un fantôme comme solitaire ? Je partirais, si tel est ton souhait. Je trouverais un autre abri, un autre endroit pour me terrer, si j’ai le temps, avant qu’on ne m’attrape et m’achève. »

© Adrenalean pour Epicode

Je ne suis rien d'autre que ce que tu crois que je suis

ft. Wing

┼ They're all around me, circling like vultures ┼

Les ténèbres me figent. Une féline que je ne connais pas reste là. Clan. Elle faisait partie d'un Clan et ça, je le savais, mais je ne parvenais pas à savoir lequel, puisque je ne connaissais les différentes odeurs, ou tout du moins, j'ai oublié. Des informations un peu trop difficiles à retenir puisque je vaque un peu partout, sans endroit définitif. Ce serait bien trop danger de demeurer à un seul endroit sans bouger, sans partir, sans brouiller les pistes, car les yeux pourraient me retrouver et me fixer de nouveau, ce que je refusais totalement. Je ne suis pas fan du danger et je ne joue pas avec ma vie, ça n'a jamais été aussi simple que ça. Dans tous les cas, je me sais point le bienvenue dans les terres du Clan du Vent, cela me revient. Elle vient tout juste de le dire, comment cela-t-il pu m'échapper ? Je pense que je ne suis pas assez concentré aux paroles qu'elle prononce. Je pense bien plus à ma fuite. Mais je suis épuisé, moi, de courir, et je voudrais faire halte pendant quelques jours. Je sais, je sais, ce ne m'est pas permis, toutefois ça ne m'empêche pas de le désirer ardemment et de l'espérer autant que j'espère parfois un miracle. Je suis réaliste : la fuite ne me permet pas un tel moment de repos. Il me faudrait une telle certitude de sécurité pour dormir au même endroit plus d'une nuit.

La féline du Clan du Vent s'adresse de nouveau à moi. Elle me pose une question que j'entends si souvent. Pourtant, je ne la comprends toujours pas. Je ne comprends toujours pas pourquoi on considère le nom d'un chat comme une information vitale presque. C'est ridicule. Je suis un fantôme, pourquoi aurais-je un quelconque nom ? J'ai bien un nom d'emprunt, c'est Lyriel, mais il ne veut rien dire et il ne voudra jamais rien dire. Ça ne permet même pas de m'identifier puisque je ne l'utilise pas toujours. À quoi sert-il dans ce cas ? Je la fixe sans la moindre émotion autre que la méfiance qui se terre dans chaque fibre de mon corps, de mon âme. Cette méfiance couplée à une peur dans toutes les nuances existantes, ne me quitte que très rarement et elle est présente actuellement, venant rétrécir légèrement ma pupille. Je n'arriverais décidément jamais à saisir les pensées qui traversent les esprits des chats que je ne côtoie pas. C'est peut-être mieux ainsi, d'ailleurs, de ne pas rester près d'eux. Car je ne peux pas les comprendre, et ils ne peuvent pas me comprendre. Je reste persuadé que ça provoquerait des étincelles si on tentait de vivre côté à côté.

Sa prochaine question a peut-être un peu plus de sens, même si elle en reste dénuée à mes yeux. D'où je viens ? Est-ce que ça doit vraiment dire quelque chose ? Peut-être qu'elle se demande si je ne viens pas d'un Clan, dans quel cas je devrais savoir que franchir les frontières n'est pas autorisé. Ou alors me juge-t-elle domestique. Je n'ai pas l'air d'un domestique, je n'ai pas la taille d'un domestique. Et si je ne lui donne pas une réponse satisfaisante à ses yeux, que fera-t-elle ? Elle réagirait peut-être par la violence, par la colère. Je peux me battre, mais je ne désire pas le faire, j'ai peur. La perspective d'une bataille fait naître en mon for intérieur un effroi intense qui dilate mes pupilles, effaçant l'effet de la méfiance, car celle-ci les rétrécisse. Je ne bouge pas. Ma respiration devient légèrement plus faible, plus ténue, comme un coup au cœur, mais ce n'était pas ça. De toute évidence, je n'ai pas de cœur. En ai-je seulement déjà eu un ? Je ne veux pas chercher la réponse. Mes souvenirs font partie des démons me traquant, ceux qui tentent me faire faiblir, me faire couler dans des eaux sombres et troubles qui ne deviendront jamais claires. La question me pique un peu partout, ici et là puis se retrouve engloutit par le trou béant qui régit à l'endroit où devrait se situer mon cœur. Ma queue remue légèrement en même temps que mes moustaches.

« Je viens de partout et de nulle part. Je n'ai pas d'identité propre, rien qui ne vaille pas la peine d'être retenu, mais tu peux, par déduction, me nommer Lyriel, ce serait suffisant. Serait-ce indiscret de te demander ton nom puisque tu as demandé celui que je porte actuellement? »

© Adrenalean pour Epicode