Assemblée de Novembre [Achevée]

C’était en apparence si simple de regarder la pleine lune.  Elle ressemblait au ventre rond des reines, blanche comme si elle n’était faite que de lait. Son symbole était fort dans les Clans pourtant ; c’était là où ils ne faisaient plus qu’un, l’espace d’une nuit, intervalle de temps si infime et précieux à la fois. Les apprentis s’agitaient, désireux de connaître ceux qui étaient conviés à cette réunion tant discutée durant la lune passée. Nébuleuse Symphonie manqua d’en heurter plusieurs ; l’excitation était presque palpable. Elle irradiait de tous ces petits corps en une onde puissante et invisible, de sorte que, par sa sensibilité, elle s’en trouvât presque perturbée. Mais, ainsi qu’elle l’avait appris, elle érigea ses barrières et concentra son attention sur Étoile de Neige, qui s’apprêtait à énoncer les noms de ceux qui seraient en sa compagnie.

En entendant son nom, la lieutenante partit se placer aux côtés de sa meneuse, qui n’en menait pas large ; une première assemblée avec ce titre n’en était que plus angoissant. C’est elle qui devrait apporter les nouvelles du Clan, s’exprimer sans honte ni gêne devant tous les autres, sans risquer de se faire mal comprendre ou d’être maladroite. Un tel fardeau était considérable, presque injuste ; Nébuleuse Symphonie se demandait pourquoi diable on n’enseignât pas l’art de la rhétorique aux apprentis. Chacun était susceptible de gouverner son Clan un jour, non ? Personne n’était à l’abri de lapsus ; mais peut-être que personne ne s’en souciait. La force et la sagesse des ancêtres venait-elle auréoler les chefs lors d’une prise de parole importante ? Cela fonctionnait-il aussi pour leurs bras droits ? C’était là une perspective bien rassurante, mais qui, en l’occurrence, n’apportait aucune réponse.

Au lieu de se torturer l’esprit, la lieutenante suivit le mouvement, en s’obligeant à respirer calmement, plissant les paupières dans l’espoir de projeter sa vision plus loin que le bout de ses moustaches ; sans grand succès. La route était plongée dans les ombres et elle suivait presque aveuglément la meneuse de troupe, sans adresser la parole à personne. Le vent la faisait frissonner ; du reste, elle restait figée dans un état de trouble mental, dans l’attente de tous ces corps réunis, de tous ces regards accueillants, hostiles, méfiants, charmeurs, sournois… elle ne comptait plus le nombre d’émotions qu’elle pouvait trouver dans un tel rassemblement. Elle s’efforça de demeurer attentiste, s’empêchant de projeter des catastrophes comme elle pouvait facilement le faire.  

Une fois devant les quatre mastodontes, la lieutenante se sentit perdue. C’était autant de personnes qu’elle ne connaissait pas, ici ; aussi décida-t-elle de rejoindre un matou à peine visible près du promontoire. Tiens, c’était… mais oui, c’était un guerrier du Clan de l’Ombre, qu’elle avait repéré à la dernière assemblée ! Elle se fit une place à ses côtés et orienta aimablement la conversation :

« Bien le bonjour, Corbeau de l’Ombre ! Nous nous étions brièvement croisés, la dernière fois… Nébuleuse Symphonie, si vous vous en souvenez. », amorça-t-elle prudemment.