Assemblée de Novembre [Achevée]

I don't know if we can escape from the dangers of the forest - ASSEMBLÉE NOVEMBRE

Elle contemplait sa réserve de remèdes, se demandant encore et encore quels mélanges elle pourrait tester pour tenter de ramener les morts à la vie. Elle tentait et échouait. Pourtant, elle ne se décourageait pas. Esprit du Vent s’étira longuement et posa un regard circulaire autour d’elle, se sentant étrangère à ce lieu malgré les lunes qu’elle y a passé. Toujours étrangère, jamais à sa place. Nuage du Brouillard ne se trouvait pas dans la tanière actuellement, mais après tout, c’était bientôt l’Assemblée, et Étoile Électrique dirait les chats qui les suivraient. Elle ferma les yeux et sortie du gîte des guérisseurs, songeant qu’elle devrait envoyer son apprentie chercher quelques remèdes le lendemain, car il fallait trouver travailler malgré la fatigue. À l’extérieur, l’image fugace d’un guerrier au nom qui lui ressemblait passa devant ses yeux avant de s’évanouir dans l’espace. Tempête d’Esprit. Viendrait-il à l’Assemblée ? Il était encore et toujours le seul à lui donner l’impression de ressentir réellement les émotions qui traversaient son corps et à cet instant, ce n’était qu’une vague pure et dure de tristesse et de nostalgie qui lui donnait une envie cruelle de fondre en larmes. Elle n’en fit rien. Esprit du Vent demeurait droite, digne, et fière, gracieuse même, devant sa tanière, remplaçant la guérisseuse qui y avait travaillé autrefois, et sa mère, aussi, Feuille du Matin. Bien que nul ne sache le véritable lien qui les unissait. Pour le Clan, la mère d’Esprit du Vent était cette vétérante toujours guerrière, Ciel Clair et sa fille, donc la guérisseuse actuelle, une miraculée qui avait survécue alors que ses frères et soeurs étaient morts-nés.


Parce que la vie se montre toujours ironique.


Ironique, oui, parce qu’en vivant tous dans le même Clan, tous ensembles, on devrait connaître les uns et les autres et pourtant, pourtant, les secrets qui résidaient étaient bien plus grands et nombreux qu’on pouvait le penser. Il était si facile de préserver des secrets, de les tisser autour des autres, sans que nul ne l’aperçoive, que s’en était presque hilarant. Presque. Puisqu’Esprit du Vent n’avait pas l’impression de saisir les émotions et de les vivre réellement. Elle pensait, sans vivre et vivait sans penser. Deux contraires, et, peut-être, deux paradoxes. Elle se contenta de soupirer sans qu’on ne lui prête attention, et ça lui allait. Son regard passait d’un être à un être, parfois s’arrêtant sur les ombres étranges et ni vivantes ni mortes qu’elle devait faire revivre. Elle s’étira longuement avant de se diriger vers le centre de la clairière, voyant le Clan en activité. Elle ne voulait rien faire pour le moment, épuisée, lassée sans doute même. Lassée de respirer sans pouvoir agir en sachant que c’était belle et bien elle qui agissait.


Parce que se retrouver à être spectatrice de sa propre vie n’était pas l’idéal.


Elle s’ébroua et s’étira de nouveau avant de s’approcher de la pile de gibier. Elle n’avait pas pensé à manger la journée d’avant, alors autant le faire maintenant avant que ça ne lui sorte de l’esprit à nouveau. Car elle pensait beaucoup et en pensant et cherchant à tout comprendre, elle venait à oublier les choses les plus essentielles, tel manger. Elle prit dans sa gueule une petite souris et se plaça dans un coin glacial de la saison sombre. Elle qui détestait la saison sombre, et qui détestait attendre, se devait d’attendre que la saison claire arrive. La guérisseuse mangea sans envie la proie que les guerriers avaient ramené et lorsque celle-ci ne fut plus qu’un paquet d’os, elle se contenta de l’enterrer, sans trop réfléchir avant de retourner près du promontoire. Elle jugeait qu’on voyait mieux le camp à côté de cet endroit où on venait baptisé les nouveaux novices, nouveaux guerriers aussi. Parfois remplacer les lieutenants, placer des guerriers dans les rangs des anciens. C’était le centre du changement du Clan, changement que le meneur se devait d’apporter, même s’il n’était pas toujours apprécié par les guerriers, ce changement.


Elle se demanda alors si Feuille du Matin aimait ces journées où elle pouvait rester tranquille. sans forcément faire quelque chose et elle se demandait si sa mère aimait les Assemblées où il y avait plein de gens et une hypocrisie intense qui se ressentait dans chaque regard et chaque geste. Esprit du Vent réalisait constamment qu’elle ne connaissait pas la féline qui lui avait permis de voir le jour, et au final, ça ne lui faisait ni chaud ni froid, elle ne faisait que le réaliser et se dire qu’elle aurait pu la connaître si elle avait su plus tôt. Si Feuille du Matin avait accepté de lui dire avant de mourir, bien avant, elles auraient pu se connaître toutes les deux, oui, elles auraient pu, mais la Vie en avait décidé autrement, et surtout, sa mère en avait décidé autrement. Faire des sacrifices, vivre en sachant qu’on n’obtiendra pas ce que l’on désire. Tel est ce qu’avait accepté sa mère, mais Esprit du Vent était différente et n’acceptait pas une telle passivité. Elle se battrait pour ses idéaux, pour faire revivre les esprits partis en fumée qui, pourtant, persistaient à lui tourner autour dans une note d’espoir. La guérisseuse n’aimait pas l’espoir, seulement la persévérance et la détermination, l’objectif à poursuivre sans relâche, c’était tout ce qu’elle voulait, désirait.


Elle se leva lorsqu’elle aperçut Étoile Électrique qui s’apprêtait à donner les noms de ceux qui viendraient à l’Assemblée. Bien sûr, elle ne sera pas nommée, car bien entendu, il allait de soi qu’elle suivrait. Qu’elle le désire ou non, elle n’aurait pas le choix de s’y présenter. Pourquoi une soirée de trêve, hein ? Pourquoi est-ce qu’on devait imposer quelque chose qui n’était pas désiré par la moitié de la Forêt quoiqu’ils en disent ?Esprit du Vent ne comprenait définitivement pas. Nuage du Brouillard devrait suivre aussi, et la guérisseuse savait que son apprentie en était parfaitement au courant, ainsi elle n’avait pas à le lui rappeler. Elle laissait une certaine liberté à Nuage du Brouillard, parce qu’elle ne supportait pas qu’on l’enferme elle dans une cage, ainsi elle n’irait rendre prisonnier nul être. Elle écouta d’une oreille distraite les noms sans les enregistrer, en ne retenant que le fait que le guerrier qu’elle ne voulait pas voir choisi ne l’était pas, ce qui lui donnait une chose de moins à se soucier. Le meneur signala alors l’heure du départ et la guérisseuse suivit le Clan un peu en retrait. Elle ne se mêlait jamais, après tout, un peu trop à l’écart des autres, avec ses mots, et son cerveau qui fonctionnait, à ses yeux, bien différemment.


Ils marchèrent un temps, mais finirent néanmoins par arriver au lieu de rencontre tandis qu’elle s’éloigna encore plus. Elle devait s’y rendre bien malgré elle. Ce lieu rempli de chats qui pourraient se sauter à la gorge dès qu’on supprimerait la trêve, voilà l’unique chose qu’elle voyait. Ça venait la révolter même. Pourquoi chercher une paix qu’il est impossible d’atteindre? Elle n’en saisissait pas le sens. Elle n’était pas pour la guerre, non, surtout que ça faisait des blessés à soigner et des plantes en moins, mais elle n’était pas contre non plus, car elle n’était pas une de ces cervelles de souris qui pensaient trop optimistes. Trop idéalistes. Bien sûr, elle avait ses petites folies, ses objectifs fous, mais pas celui irréalisable de rendre la terre d’une paix paisible et stable. Elle s’approcha doucement des autres, sans les frôler, observant tout autour d’elle pour s’assurer que les fantômes ne la suivaient pas. Ils ne devaient pas se trouver là, car il n’était pas en son pouvoir de s’occuper d’eux pour le moment. Elle réalisa que le Clan de l’Ombre était le dernier à arriver sur les lieux, bien que c’était un détail futile. Tout détail pouvait compter un jour. Elle finit par s’approcher des autres guérisseurs, plus particulièrement de Chant du Cygne, guérisseuse du Clan du Vent et hocha respectueusement la tête, d’égale à égale avant de s'éloigner un peu.  Esprit du Vent ne reconnaissait pas les meneurs qui étaient à la tête des trois autres Clans, et elle se tue lorsqu’elle vit la meneuse du Clan de la Rivière, devina-t-elle, aller sur son arbre.  L’Assembée allait ainsi pouvoir débuter et la guérisseuse ombreuse pourrait savoir ce qu’elle ne savait pas. Elle ne s’empêcha néanmoins pas de dire de sa voix froide et douce, qu’elle ne reconnaissait pas, quelques mots dans le vent, dans un murmure.


« Les meneurs changent. Est-ce bon ou mauvais signe ? »